BLANCA
ESPINOZA
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Le mot et le sens esthétique
(Versión
en español)
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Au moyen de
l’écriture, j’interviens dans un espace en blanc, je le traverse
grâce à une découverte qui est une forme textuelle.
La page, en elle-même, ne m’apporte rien. La couleur resplendissante
de la feuille se prête à une transformation révélatrice,
cependant, cette révélation, qui est une modalité
du signe, provient en grande partie du magnétisme provoqué
par la clarté de l’espace blanc. Elle capture le regard sollicité
par la prouesse où la feuille devient page et la matérialité
du texte devient possible. Toute page, tout livre est en soi un objet.
Les conventions de leur forme ont été dessinées par
l’homme. Celui-ci leur a octroyé un sens d’utilité pratique,
de recréation esthétique.
Cependant, le livre ne refuse pas aux mots leur condition de particules
ayant un sens. Je sens que la poésie communique un message esthétique
lorsque les mots peuvent être récupérés à
travers ma liberté d’expression.
Une bibliothèque suggère des témoignages, l’immobilité
des formes dans lesquelles les pensées sont exprimées, des
promesses d’information et l’incitation à l’aventure, mais aussi
l’admiration esthétique des formes, des grandeurs, des couleurs,
etc.
L’intérêt pour le livre se matérialise réellement
au moment où des mais ouvrent ses pages, c’est ainsi que le regard
transforme ce qui est inerte en mouvement de lecture. La présence
devient nécessaire et l’objet disparaît au bénéfice
de sa fonction. Le livre de poésie communique tout en recréant.
La poésie, devenue langage écrit, est un tout particulier,
indéfinissable en tant que forme de communication quotidienne. Elle
communique un sens esthétique : "Les mots, leurs sons et même
leurs formes sont tout pour le poète : le sens des mots et le sens
de la poésie, mais les mots offrent des associations qui mènent
jusqu’à la pensée, au-delà du son, jusqu’à
l’image visuelle et à l’idée abstraite" (1).
Quand j’écris un poème, je montre un univers qui répond
à une inquiétude traduite dans mon écriture. C’est
une manière de regarder, me voici en état de crise : un acte
de transmutation, il y a là une volonté de bouleverser le
quotidien. Dan le texte, je brise une convention linguistique et j’en propose
une autre qui est, forcément, une réversion. Je sens, dans
ma marche poétique, l’impossibilité de fixer les choses,
tout est un devenir, un « se faisant », il y a un seuil infranchissable,
un lieu que je ne parviens pas à atteindre, une énigme qui
n’est jamais résolue.
Le langage est désir de communiquer, il nomme et en nommant ordonne
ce qui est chaotique, il transforme la réalité en monde et,
en la soumettant à la magie des signes, il transmue son essence,
il la change en représentation. Dans mon effort de nommer, je projette
un désir de révélation, j’exalte qualités et
sons et je formule des possibilités pour le développement
de la connaissance. Et certaines notions telles que : extériorité-intériorité,
conscience-inconscience, savoir-ignorance qui reflètent la constante
polarité provoquée par mon ambiguïté et qui nourrissent
toujours le doute. L’Obscurité, l’enfermement, l’abîme, la
brume, l’ésotérisme, les mots marquent mon inquiétude
et tissent la trame dans laquelle le monde se trouve plutôt dans
l’ombre que sous la lumière. Ma poésie submergée dans
cette fange transforme en rêve la pénombre et exprime l’inédit
d’une présence cachée derrière l’incertain.
Au moyen de la poésie, j’invente des mondes, mais je sens que les
éléments de cette invention sont des résidus d’autres
aventures de la langue. J’éclaire des zones du réel qui s’incorporent
au domaine de la connaissance et je suis toujours le reflet de ces états
de changement.
Je sens que, contrairement à ce que Hegel a prophétisé
au XIXe siècle, c’est-à-dire que le progrès, le développement
intellectuel et la réflexion métaphysique montreraient, à
un moment donné, l’inutilité de l’art, la poésie a
continué de proliférer vigoureusement et à s’exprimer
au niveau de l’évolution de la conscience moderne. Je crois que
la poésie existera tant que l’homme existera, elle soutiendra l’analogie
grâce à ses propositions ludiques, ce jeu du mot écrit.
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Notes
(1)Herbert
Read, op.cit., p. 42. Traduction libre.
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D'autres échantillons
de l'oeuvre de Blanca Espinoza (en espagnol):